Quels sont les changements les plus significatifs que vous avez observés dans la fonction RH au cours des 5 à 10 dernières années ?
Au cours de la dernière décennie, les RH ont été profondément transformées par deux évolutions intimement liées : la transformation numérique et la redéfinition de l’expérience humaine au travail. Sur le plan numérique, cette transformation s’est déroulée en deux étapes. La première visait à éliminer les processus manuels répétitifs. Aujourd’hui, l’IA vient compléter le jugement et la prise de décision humaine. Dans la seconde étape, concernant l’expérience humaine, les attentes ont évolué : les individus aspirent à une vision claire de leur mission, à une organisation du travail flexible, à une progression continue et à des équipes où règne un climat de confiance. Parallèlement, les entreprises ont pris conscience de l’impact positif d’une main-d’œuvre engagée et motivée par un objectif précis.
L'impératif est désormais l'intégration et l'augmentation des capacités comme principe de conception. Les rôles et les flux de travail doivent partir du principe que les individus apportent leur jugement, leur éthique et leur créativité, tandis que les systèmes prennent en charge la collecte des données, la détection des tendances et la coordination des flux de travail. En tant que dirigeants, nous devons favoriser et développer la maîtrise des technologies, accompagner le changement et promouvoir la culture des données au sein de l'entreprise, tout en formant conjointement les systèmes et les personnes dans le cadre d'une gouvernance qui garantit une expérience équitable, transparente et humaine.
En pratique, la fonction RH devient le système d'exploitation qui régit la manière dont le travail est effectué : comment les compétences sont développées, comment la culture se manifeste dans les décisions quotidiennes et comment la valeur est créée rapidement.
Ce qui est en jeu, c'est un changement de mentalité : les RH ne sont plus un simple service, mais un moteur stratégique qui crée les conditions d'une performance durable.
Quels sont, selon vous, les deux ou trois facteurs les plus responsables de ces changements ? Comment ces forces influencent-elles l’importance stratégique du rôle de DRH actuellement ?
Les facteurs sont clairs : l’omniprésence de l’IA et des données, les attentes croissantes des parties prenantes et la nouvelle économie des talents.
L'IA et l'analyse de données influencent désormais les décisions quotidiennes. Les parties prenantes exigent transparence, inclusion et résultats, et les compétences les plus recherchées évoluent plus vite que les organigrammes et les plans d'effectifs ne peuvent les intégrer. Dans ce contexte, le rôle du DRH évolue : il passe de celui de responsable des politiques à celui d'architecte et de coordinateur des méthodes de travail.
Architecte, car nous concevons le système d'exploitation des talents : une taxonomie des compétences vivante, une formation d'équipes dynamique, un apprentissage moderne qui privilégie la rapidité au pedigree et une gouvernance qui préserve l'humanité, l'éthique et l'évolutivité de l'IA.
Orchestrateur, car nous alignons les produits, la technologie, les finances, les aspects juridiques et les risques autour d'un rythme unique pour la création de valeur, l'adoption et les scénarios à risque.
L'approche doit être pragmatique. Il nous faut évaluer l'opportunité d'acquérir une solution plutôt que de la développer nous-mêmes, afin de maintenir notre réactivité sans nous enfermer dans une plateforme obsolète. Nous devons définir des cas d'usage clairs, assortis de critères de référence et d'échéances, et dépasser les indicateurs de performance superficiels pour privilégier des métriques décisionnelles pertinentes, telles que le temps de cycle, la qualité, la sécurité et la confiance des clients et des employés. Bien utilisée, la technologie devient un amplificateur de l'intuition humaine, et non un substitut.
Cela permet aux individus d'envisager des perspectives crédibles d'évolution vers des missions à plus forte valeur ajoutée, aide les dirigeants à prendre de meilleures décisions plus rapidement et garantit que la performance repose sur des valeurs qui se reflètent dans les choix quotidiens. C'est ainsi que le DRH moderne gagne la confiance stratégique.
Certains des principaux moteurs de la création de valeur du capital humain, comme la culture et le bien-être, sont difficiles à mesurer et peuvent paraître futiles à certains. Comment convaincre les autres de leur importance ?
La culture est le moteur de l'innovation. Elle englobe l'expérience vécue du travail, la manière dont les décisions sont prises, dont les risques sont abordés, et les sentiments éprouvés face aux difficultés. Et elle est mesurable.
Analysez l'engagement et les tendances, le taux de départs regrettable, la mobilité interne vers des postes clés, les délais de décision et le temps écoulé entre l'idée et le premier impact client. Lorsque ces indicateurs évoluent favorablement, la culture d'entreprise crée les conditions propices à l'émergence rapide des idées, à leur argumentation pertinente et à leur concrétisation rapide en valeur ajoutée.
Prenons l'exemple de la contribution. Une culture d'entreprise forte offre aux cadres expérimentés une réelle liberté d'innover et de tester de nouvelles idées, ce qui favorise le développement de leur jugement et de leur capacité à identifier les tendances. Parallèlement, la confiance et un climat de sécurité psychologique encouragent les jeunes talents à partager leurs premières idées, garantissant ainsi que les bonnes idées ne soient pas oubliées, mais qu'elles aient rapidement un impact concret, quelle que soit leur origine. Cette combinaison de perspectives expérimentées et de nouvelles idées élargit le champ des possibles et accélère le progrès. Pour y parvenir, nous devons devenir de véritables architectes de notre culture. Par exemple, nous formalisons le mentorat inversé afin que les dirigeants expérimentés et les jeunes talents puissent, ensemble, combler leurs lacunes.
En résumé, la culture n'est pas un slogan. Elle façonne le processus décisionnel. Elle constitue un atout opérationnel et financier, particulièrement dans un environnement marqué par l'IA et l'évolution rapide, où l'apprentissage continu est essentiel à la performance. Lorsqu'une culture encourage la contribution, développe les compétences et garantit la transparence des résultats, l'innovation devient reproductible et l'entreprise progresse plus rapidement et avec une qualité accrue.
La culture n'embellit pas la stratégie. Elle la rend plus performante.
L'intelligence artificielle suscite actuellement un vif intérêt. Son potentiel est immense, pourtant de nombreuses entreprises peinent encore à rentabiliser leur investissement. Selon vous, quel rôle les DRH devraient-ils jouer pour tirer pleinement parti de l'IA et gérer ses risques ?
L'IA ne se contente pas d'ajouter des outils ; elle redéfinit en profondeur l'organisation du travail. C'est pourquoi, comme je l'ai mentionné précédemment, les DRH doivent jouer un rôle de chef d'orchestre et d'architecte. À partir de là, nous pouvons révolutionner la conception des effectifs. Les organigrammes hiérarchiques, à mon avis, sont voués à disparaître. Ils seront remplacés par des réseaux de compétences qui s'organisent autour des initiatives les plus importantes et évoluent au gré de la stratégie et des besoins des clients. Cela nécessite une combinaison judicieuse de science des données et de sciences comportementales pour orienter la constitution des équipes, les flux de travail et la répartition des responsabilités.
L'apprentissage doit être pratique et personnalisé, tout en étant lié aux résultats que les dirigeants reconnaissent, tels que les délais, la qualité, la sécurité, la satisfaction client et la confiance des employés. Il est essentiel de maintenir l'humain au cœur du processus lorsque le jugement, l'empathie ou la responsabilisation sont indispensables. En procédant ainsi, l'IA amplifie l'expertise humaine, les risques sont anticipés et les collaborateurs entrevoient des perspectives crédibles pour des missions à plus forte valeur ajoutée.
Quels sont les points de contact les plus précieux entre le PDG et le conseil d'administration, et pourquoi ?
Les relations sont primordiales. L'important n'est pas tant la planification d'une réunion que l'instauration d'une relation de confiance durable, fondée sur un agenda évolutif. Lors des échanges avec le PDG et le conseil d'administration, la qualité du dialogue est essentielle : définir clairement les choix, identifier les risques et les mesures d'atténuation, et convenir d'engagements.
Les conseils d'administration des sociétés cotées et des sociétés privées se ressemblent plus qu'on ne le croit. J'ai travaillé avec des conseils d'administration de sociétés cotées et de fonds de capital-investissement, et dans les deux cas, l'attente est la même : aborder les sujets pertinents, sous la forme appropriée et au moment opportun. Mon rôle est d'assurer la fluidité des échanges et de garantir la transparence. La technologie peut organiser l'information, mais elle ne crée pas la confiance ni ne répare les relations tendues. Cela relève du travail humain.
Si un DRH n'entretient pas de relations solides avec le PDG, le conseil d'administration ou ses pairs au sein de l'équipe de direction, il est temps de faire le point et d'en faire une priorité : comprendre les préoccupations, établir un contexte commun et rétablir la confiance par la transparence et le suivi. Lorsque les relations sont solides et que les documents sont prêts à la prise de décision, l'organisation avance plus vite et avec moins d'imprévus. Le véritable indicateur est la confiance durable dans la stratégie, les talents et la capacité de succession. Le DRH doit être le garant de cette confiance.